
Le rétinoblastome est une tumeur maligne rare qui affecte la rétine des jeunes enfants. Cette pathologie représente environ 4% des cancers pédiatriques et touche principalement les enfants de moins de 5 ans. Bien que rare, le rétinoblastome est le cancer intra-oculaire le plus fréquent chez l'enfant. Son diagnostic précoce et sa prise en charge rapide sont essentiels pour optimiser les chances de guérison et préserver au mieux la vision. Les avancées récentes en génétique et en thérapeutique ont permis d'améliorer considérablement le pronostic de cette maladie, avec un taux de survie supérieur à 95% dans les pays développés.
Diagnostic du rétinoblastome : signes cliniques et techniques d'imagerie
Le diagnostic précoce du rétinoblastome repose sur la reconnaissance de signes cliniques caractéristiques et l'utilisation de techniques d'imagerie spécialisées. Une détection rapide permet de mettre en place un traitement adapté et d'améliorer le pronostic visuel et vital de l'enfant.
Leucocorie : signe révélateur principal du rétinoblastome
La leucocorie, ou reflet blanc dans la pupille , est le signe le plus fréquent et le plus précoce du rétinoblastome. Ce phénomène, parfois appelé "œil de chat", est souvent remarqué par les parents sur des photographies prises avec flash. Il est important de sensibiliser les parents et les professionnels de santé à ce signe d'alerte, qui doit conduire à un examen ophtalmologique rapide.
La leucocorie peut être visible de manière intermittente au début, puis devenir permanente avec la progression de la tumeur. Tout reflet blanc dans la pupille d'un enfant doit être considéré comme suspect jusqu'à preuve du contraire.
D'autres signes cliniques peuvent également être évocateurs d'un rétinoblastome :
- Un strabisme d'apparition brutale
- Une hétérochromie irienne
- Une inflammation oculaire
- Une baisse de l'acuité visuelle
Examen du fond d'œil sous anesthésie générale
L'examen du fond d'œil sous anesthésie générale est l'examen clé pour le diagnostic du rétinoblastome. Il permet d'observer directement la tumeur et d'évaluer son extension. Cet examen est réalisé par un ophtalmologiste spécialisé, à l'aide d'un ophtalmoscope indirect et d'une lentille de grossissement.
Le rétinoblastome se présente typiquement sous forme de masses blanchâtres, plus ou moins calcifiées, situées dans la rétine. On distingue deux types de croissance tumorale :
- Le rétinoblastome endophytique : la tumeur se développe vers l'intérieur de l'œil, dans le vitré
- Le rétinoblastome exophytique : la tumeur se développe vers l'extérieur, sous la rétine
Apport de l'IRM orbitaire et cérébrale dans le bilan d'extension
L'imagerie par résonance magnétique (IRM) joue un rôle crucial dans le bilan d'extension du rétinoblastome. Elle permet d'évaluer l'extension de la tumeur au nerf optique, à l'orbite et au cerveau. L'IRM est particulièrement utile pour détecter une éventuelle atteinte bilatérale ou la présence d'un rétinoblastome dit "trilateral" avec une tumeur pinéale associée.
L'IRM présente plusieurs avantages par rapport au scanner :
- Absence de radiation ionisante, particulièrement importante chez l'enfant
- Meilleure résolution des tissus mous
- Capacité à détecter de petites lésions intracérébrales
Échographie oculaire : caractérisation des tumeurs intraoculaires
L'échographie oculaire est un examen complémentaire précieux pour caractériser les tumeurs intraoculaires. Elle permet de visualiser la taille, la localisation et la structure de la tumeur, ainsi que la présence éventuelle de calcifications. Ces dernières sont très évocatrices du rétinoblastome et apparaissent comme des zones hyperéchogènes.
L'échographie peut également être utile pour différencier le rétinoblastome d'autres pathologies oculaires pédiatriques, comme la maladie de Coats ou la toxocarose oculaire.
Génétique et formes cliniques du rétinoblastome
La compréhension des mécanismes génétiques du rétinoblastome a considérablement progressé ces dernières années, permettant une meilleure prise en charge des patients et de leurs familles.
Mutations du gène RB1 : mécanismes moléculaires
Le rétinoblastome est causé par des mutations du gène RB1
, situé sur le chromosome 13. Ce gène code pour la protéine du rétinoblastome, un important suppresseur de tumeur qui régule le cycle cellulaire. Pour qu'un rétinoblastome se développe, les deux copies du gène RB1
doivent être inactivées.
On distingue deux formes de rétinoblastome :
- La forme héréditaire (40% des cas) : une mutation est présente dans toutes les cellules de l'organisme (mutation germinale)
- La forme non héréditaire (60% des cas) : les deux mutations surviennent uniquement dans les cellules rétiniennes (mutations somatiques)
La forme héréditaire prédispose à un rétinoblastome bilatéral et à un risque accru de seconds cancers tout au long de la vie.
Conseil génétique et dépistage familial
Le conseil génétique joue un rôle crucial dans la prise en charge des patients atteints de rétinoblastome et de leurs familles. Il permet d'identifier les formes héréditaires, d'évaluer le risque de transmission et de mettre en place un dépistage adapté pour les apparentés à risque.
Le dépistage génétique est recommandé pour tous les enfants atteints de rétinoblastome, qu'il soit unilatéral ou bilatéral. L'identification d'une mutation germinale permet d'adapter la surveillance et la prise en charge.
Pour les familles à risque, un dépistage prénatal peut être proposé. Il peut s'agir d'un diagnostic prénatal par amniocentèse ou biopsie de trophoblaste, ou d'un dépistage échographique fœtal. En cas de mutation identifiée, une surveillance ophtalmologique étroite dès la naissance est mise en place.
Traitements conservateurs du rétinoblastome
Les progrès thérapeutiques récents ont permis de développer des traitements conservateurs visant à préserver l'œil et la vision tout en assurant le contrôle tumoral. Ces approches sont particulièrement importantes dans les formes bilatérales ou chez les jeunes enfants.
Chimiothérapie intra-artérielle sélective : technique de yamane
La chimiothérapie intra-artérielle sélective, également connue sous le nom de technique de Yamane, est une avancée majeure dans le traitement conservateur du rétinoblastome. Cette approche consiste à injecter directement les agents chimiothérapiques dans l'artère ophtalmique, permettant d'obtenir des concentrations élevées de médicaments au niveau de la tumeur tout en minimisant les effets secondaires systémiques.
La procédure se déroule sous anesthésie générale et nécessite une expertise en neuroradiologie interventionnelle. Un microcathéter est introduit par voie fémorale et guidé jusqu'à l'artère ophtalmique sous contrôle radiologique. Les médicaments les plus couramment utilisés sont le melphalan, le topotecan et le carboplatine.
Les avantages de cette technique incluent :
- Une réduction significative du volume tumoral
- Une préservation de la vision dans de nombreux cas
- Une diminution des effets secondaires systémiques par rapport à la chimiothérapie intraveineuse
Thermothérapie transpupillaire au laser diode
La thermothérapie transpupillaire utilise un laser diode pour chauffer la tumeur à une température subléthale (entre 42 et 60°C), provoquant une nécrose tumorale progressive. Cette technique est particulièrement adaptée aux petites tumeurs postérieures, mesurant jusqu'à 3 mm d'épaisseur et 10 mm de diamètre.
Le traitement est réalisé sous anesthésie générale, à l'aide d'un ophtalmoscope indirect équipé d'un laser diode. Plusieurs séances sont généralement nécessaires pour obtenir une régression tumorale complète.
Cryothérapie des tumeurs périphériques
La cryothérapie est une option thérapeutique pour les tumeurs périphériques de petite taille (moins de 3,5 mm d'épaisseur et 10 mm de diamètre). Elle consiste à appliquer un froid intense (-80°C) sur la tumeur, provoquant une nécrose tissulaire.
Le traitement est réalisé sous anesthésie générale, en utilisant une sonde de cryoapplication appliquée sur la sclère en regard de la tumeur. Plusieurs cycles de congélation-décongélation sont effectués pour optimiser l'effet thérapeutique.
Indications de la radiothérapie conformationnelle
La radiothérapie conformationnelle est une technique de radiothérapie externe qui permet de délivrer une dose précise de rayonnement à la tumeur tout en épargnant au maximum les tissus sains environnants. Bien que son utilisation ait diminué avec le développement des traitements conservateurs, elle reste indiquée dans certaines situations :
- Tumeurs volumineuses non contrôlées par les autres traitements
- Atteinte bilatérale avec risque de cécité
- Récidive après d'autres traitements conservateurs
La radiothérapie conformationnelle utilise des techniques d'imagerie avancées et des systèmes de planification de traitement sophistiqués pour adapter le faisceau de rayonnement à la forme exacte de la tumeur. Cela permet de minimiser l'irradiation des tissus sains et de réduire les effets secondaires à long terme, notamment le risque de seconds cancers radio-induits.
Prise en charge multidisciplinaire et suivi à long terme
La prise en charge du rétinoblastome nécessite une approche multidisciplinaire coordonnée, impliquant des ophtalmologistes, des oncologues pédiatres, des radiothérapeutes, des généticiens et des psychologues. Cette collaboration est essentielle pour optimiser le traitement et le suivi des patients.
Rôle des centres de référence RETINO du réseau CARAMMEL
En France, la prise en charge du rétinoblastome est organisée autour de centres de référence spécialisés, regroupés au sein du réseau CARAMMEL (Centres Autorisés pour la prise en charge du RétinoblAstoMe et Leucémies de l'enfant). Ces centres disposent de l'expertise et des équipements nécessaires pour assurer une prise en charge optimale des patients atteints de rétinoblastome.
Les missions des centres de référence RETINO incluent :
- Le diagnostic et le traitement des nouveaux cas de rétinoblastome
- La coordination du suivi à long terme des patients
- La recherche clinique et translationnelle sur le rétinoblastome
- La formation des professionnels de santé
Surveillance ophtalmologique et oncologique post-traitement
Après le traitement initial, une surveillance étroite est nécessaire pour détecter précocement d'éventuelles récidives ou l'apparition de nouvelles tumeurs. Le rythme et la durée du suivi sont adaptés à chaque patient en fonction du type de rétinoblastome (héréditaire ou non) et des traitements reçus.
La surveillance ophtalmologique comprend des examens réguliers du fond d'œil sous anesthésie générale chez les jeunes enfants, puis des examens en consultation lorsque l'enfant est en âge de coopérer. La fréquence des examens est généralement :
- Mensuelle pendant la première année post-traitement
- Trimestrielle la deuxième année
- Semestrielle jusqu'à l'âge de 5 ans
- Annuelle par la suite
La surveillance oncologique vise à détecter d'éventuelles métastases ou l'apparition de seconds cancers. Elle inclut un examen clinique régulier et, selon les cas, des examens d'imagerie (IRM cérébrale, échographie abdominale).
Dépistage des seconds cancers chez les patients porteurs de mutation RB1
Les patients porteurs d'une mutation germinale du gène RB1
présentent un risque accru de développer des seconds cancers tout au long de leur vie. Ce risque est particulièrement élevé chez les patients ayant reçu une radiothérapie externe.
Les principaux types de seconds cancers observés sont :
- Les sarcomes des tissus mous
- Les ostéosarcomes
- Les mélanomes cutanés
- Les tumeurs cérébrales
Un programme de dépistage spécifique est mis en place
pour les patients porteurs d'une mutation germinale RB1. Il comprend :
- Un examen clinique annuel complet
- Une IRM cérébrale annuelle jusqu'à l'âge de 5 ans
- Une échographie abdominale annuelle
- Un examen dermatologique annuel
- Une surveillance osseuse par radiographies et/ou IRM corps entier selon les cas
Une sensibilisation des patients et de leur famille aux signes d'alerte pouvant évoquer un second cancer est également essentielle.
Enjeux psychosociaux et qualité de vie des enfants atteints
Le rétinoblastome et ses traitements peuvent avoir un impact significatif sur le développement et la qualité de vie des enfants atteints. Une prise en charge globale, prenant en compte les aspects psychosociaux, est indispensable pour optimiser le devenir à long terme de ces patients.
Impact sur le développement cognitif et la scolarité
Les enfants traités pour un rétinoblastome peuvent présenter des difficultés cognitives et d'apprentissage, en particulier lorsqu'ils ont reçu une radiothérapie cérébrale. Ces difficultés peuvent se manifester par :
- Des troubles de l'attention et de la concentration
- Des difficultés de mémorisation
- Un ralentissement du traitement de l'information
- Des troubles des fonctions exécutives
Une évaluation neuropsychologique régulière est recommandée pour dépister précocement ces difficultés et mettre en place des aménagements scolaires adaptés. Ces derniers peuvent inclure :
- Un tiers-temps supplémentaire pour les examens
- L'utilisation d'outils numériques adaptés
- Un soutien pédagogique individualisé
- Une orientation vers des structures spécialisées si nécessaire
Accompagnement psychologique des familles
Le diagnostic et le traitement du rétinoblastome sont des épreuves difficiles pour l'enfant et sa famille. Un accompagnement psychologique est essentiel pour aider à faire face aux différentes étapes de la maladie et à ses conséquences à long terme.
Les principaux enjeux psychologiques incluent :
- L'annonce du diagnostic et la gestion du stress initial
- L'adaptation aux traitements et à leurs effets secondaires
- La gestion de l'anxiété liée aux examens de surveillance
- L'acceptation d'éventuelles séquelles visuelles ou esthétiques
- La gestion du risque de second cancer à long terme
Un suivi psychologique régulier, impliquant l'ensemble de la famille, permet de favoriser la résilience et l'adaptation à la maladie. Des groupes de parole et des associations de patients peuvent également jouer un rôle important dans le soutien des familles.
Réadaptation visuelle et aides optiques
La prise en charge ophtalmologique à long terme des patients traités pour un rétinoblastome vise à optimiser leur fonction visuelle résiduelle et à favoriser leur autonomie. Cette prise en charge comprend :
- Une évaluation régulière de l'acuité visuelle et du champ visuel
- La prescription d'aides optiques adaptées (lunettes, loupes, télé-agrandisseurs)
- L'apprentissage de techniques de compensation visuelle
- L'orientation vers des structures spécialisées en basse vision si nécessaire
Pour les patients ayant subi une énucléation, l'adaptation d'une prothèse oculaire esthétique est un élément important de la réhabilitation. Les progrès dans la conception des prothèses permettent aujourd'hui d'obtenir des résultats esthétiques très satisfaisants.
En conclusion, la prise en charge du rétinoblastome nécessite une approche multidisciplinaire, alliant expertise médicale et accompagnement psychosocial. Les progrès réalisés dans le diagnostic précoce, les traitements conservateurs et le suivi à long terme ont considérablement amélioré le pronostic et la qualité de vie des patients atteints de cette maladie rare. La recherche continue dans ce domaine laisse espérer de nouvelles avancées thérapeutiques dans les années à venir, permettant d'optimiser encore davantage la préservation de la vision et la qualité de vie des enfants atteints de rétinoblastome.